B) Théorie biologique
On connaît maintenant certains des mécanismes physiologiques qui sont mis en jeu durant l’effet placebo. Ils ont surtout été étudiés en ce qui concerne l’effet placebo analgésique, mais d’autres troubles où l’effet placebo est notable, comme la maladie de Parkinson, ont aussi généré des hypothèses quant à des mécanismes neurobiochimiques y contribuant.
Pour ce qui est de la douleur, la découverte des endorphines* et des voies nerveuses naturelles du contrôle de la douleur ont rapidement constitué des pistes susceptibles de donner un fondement biologique à l’effet placebo.
Dans une étude pionnière publiée en 1978, Jon Levine a testé l’implication des endorphines lorsque l’effet placebo atténue une douleur due à l’extraction de molaires. Donner une injection de solution saline (donc un placebo) à un patient en lui disant qu’il s’agit d’un médicament antidouleur est alors, pour certains patients, aussi efficace qu’une dose de 6 à 8 milligrammes de morphine. Mais si on donne ensuite à ces patients « placebo répondeurs » un antagoniste* spécifique de la morphine appelé naloxone, qui bloque donc également l’effet de nos propres morphines endogènes, celui-ci augmente significativement la douleur de ces patients. Alors que la même dose de naloxone ne cause aucune douleur additionnelle aux patients qui n’avaient pas répondu à l’effet placebo. On peut donc conclure qu’il y a une libération d’endorphines après l’injection de placebo.
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Graphique de l’intensité de la douleur en fonction du temps.
On observe une diminution de la réponse analgésique après administration de naloxone.
Plus récemment, en 2001, une équipe de l’université de Colombie-Britannique, s’est intéressée à la maladie de Parkinson, une pathologie liée à la baisse de production de dopamine. Grace à la tomographie par émission de positon (TEP), elle a démontré que dans un groupe ne recevant que de l’eau salée, en comparaison à un groupe supplémenté en dopamine, l’attente d’une amélioration était telle que les patients se mettaient aussi à sécréter de l’endorphine de façon endogène. En 2002, Martin Ingvar, a lui aussi utilisé la TEP pour visualiser l’effet placebo chez des volontaires préalablement soumis à des brûlures légères au niveau de la peau. Lorsque ces sujets recevaient ensuite soit un antidouleur dérivé de la morphine (A) , soit un placebo (B) , soit rien, le PET-scan a permis d’observer l’activation d’une zone cérébrale identique (C), le cortex cingulaire antérieur, et ce dans les trois groupes.
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Tomographies par émission de positons de cerveaux d’individu ayant reçu (A) un dérivé de la morphine et (B) un placebo.
L’administration de placebo et d’agoniste morphinique mettent en jeu des réseaux neuronaux communs (C)
¤Ces nombreuses recherches ont donc démontré le rôle des endorphines dans l’effet placebo. Mais que sont-elles ?
Les endorphines sont des substances chimiques ayant les mêmes propriétés que l’opium et ses dérivés (morphine…) mais produites à l’intérieur du corps humain, sous l’expression d’un gène spécifique. Il s’agit de neuromédiateurs, des polypeptides qui régulent l’intensité des messages nerveux au niveau des synapses grâce à leur pouvoir inhibiteur. La ß-endorphine, molécule d’endorphine la plus commune chez l’homme est composée d’une chaîne de 31 acides aminés.
enchainement des acides aminés de l’endorphine
Elle est principalement secrétée dans l’hypothalamus et peut passer dans la circulation générale pour atteindre ses « neurones – cibles ». Si l’action des de ce neuromédiateur se concentre surtout dans l’encéphale, on trouve également des récepteurs à endorphines dans la peau, les intestins et le cœur.
Localisation de l’hypothalamus
¤Quelle est l’action des endorphines ?
L’endorphine comme tous les dérivés et substances proches dans leur action de la morphine, est un anti-dépresseur. C’est-à-dire une substance qui a pour effet de diminuer l’activité cérébrale et la perception de l’environnement qui entoure la personne; et donc de diminuer sa perception de la douleur.
On peut distinguer deux mécanismes différents liés à l’action des endorphines dont les résultats se cumulent:
~Une action analgésique sur les neurones post-synaptiques du thalamus:
Le premier pôle d’action des endorphines est le thalamus. Il s’agit d’un centre intégrateur du système nerveux qui joue le rôle de relais entre l’organisme et le cortex cérébral, centre décisionnel de l’encéphale (= cerveau). Des neurones de toutes les parties de l’organisme convergent vers le thalamus et y font synapse. C’est au niveau de ces zones de contact entre deux neurones qu’agissent les endorphines.
Une connexion classique entre deux neurones.
Par exemple, un neurone sensoriel arrivant d’un muscle au thalamus.
Le message nerveux (de douleur par exemple) chemine sous forme d’activité électrique à travers l’axone jusqu’à arriver à la synapse. Au niveau des boutons terminaux axoniques, le message électrique est traduit sous forme chimique et provoque l’exocytose. Des molécules du neurone pré-synaptique libèrent leur contenu, des neurotransmetteurs, dans le milieu synaptique. Ces substances se combinent à des récepteurs post-synaptiques et le message de douleur continue son chemin vers le cortex cérébral après avoir été retraduit en Potentiels d’Action électrique.
Mais en présence d’endorphine, le passage de la synapse prend une tournure différente :
Les endorphines viennent se fixer sur les récepteurs à neuromédiateurs du neurone post-synaptique et ouvrent le « canal » de ce récepteur.
Les anions chlorures naturellement présents dans la fente synaptique s’engouffrent alors dans le canal ouvert par les endorphines dans le neurone post-synaptique.
Le chlore, porteur d’une charge électrique négative, contribue à rendre le neurone moins excitable. Le neurone est hyper-polarisé et donc inhibé : l’intensité du message nerveux de douleur est diminuée. L’individu ressent donc moins la douleur.
En ramenant cette action au cadre de l’effet Placebo, on peut supposer que le simple fait de prendre un médicament (actif ou non) conduit l’esprit à agir sur l’hypothalamus pour accélérer la sécrétion d’endorphines. Celles-ci, vont diminuer l’intensité des messages de douleur en inhibant les neurones arrivant au centre intégrateur du thalamus.
L’individu ressentira ainsi une amélioration de son état : une illustration du pouvoir qu’a l’esprit sur le corps!
~Une action dopaminergique sur les neurones de l’Aire Tegmentale Ventrale et le noyau Accumbens:
L’évolution a mis en place dans notre cerveau des régions dont le rôle est de « récompenser » l’exécution des fonctions vitales par une sensation agréable. Ce sont des régions (noyau accumbens et aire tegmentale ventrale), interconnectées entre elles, qui forment ce que l’on appelle le « circuit de la récompense ».
¤Activation du système de récompense:
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Si l’effet Placebo conduit à un gain de confiance, à une hausse du moral et à une satisfaction générale du patient, on peut supposer qu’il existe une interaction de ce type avec le « circuit de la récompense ». . Le stimuli de satisfaction envoyé par l’esprit persuadé de recevoir un médicament actif est alors à l’origine de la sécrétion importante de dopamine. Cette hausse du taux de ce neurotransmetteur correspond donc à l’amélioration de l’état du patient.
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Conclusion :
L’expression biologique de l’effet Placebo reste un phénomène énigmatique. Il est évident que l’essentiel de ses rouages reste inconnu, et ce ,malgré les progrès des neurosciences. Ces disciplines scientifiques très jeunes ont cependant mis en évidence l’implication des endorphines dans le phénomène Placebo. Le rôle de ces neuromédiateurs est d’abord d’inhiber, c’est à dire d’empêcher ou du moins ralentir, les messages nerveux de douleur au niveau du thalamus, un centre intégrateur de l’encéphale. L’autre action des endorphines se situe au niveau du « circuit de la récompense ». La présence de neuromédiateurs va alors stimuler la sécrétion de dopamine. Ce neurotransmetteur assure la communication entre les cellules et les neurones et est à l’origine des sensations de plaisir. . Mais ces hypothèses sont hélas insuffisantes pour expliquer biologiquement la totalité de l’effet Placebo ! Car que ce soit dans le thalamus ou dans le « circuit de la récompense », les endorphines agissent comme la plupart des drogues ! Elles peuvent donc donner au malade une sensation de bien-être, mais ne participent pas à la guérison de sa lésion organique.
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